Didon et Énée,
Une reine et des larmes

 Considéré comme le premier véritable opéra anglais le chef d’œuvre de Purcell, composé en 1689, ensorcelle dans cette nouvelle production de l’Arcal. La vision audacieuse de Catherine Kollen et du metteur en scène Benoît Bénichou sublime le sens dramatique de la tragédie baroque, magistralement interprétée par l’Ensemble Diderot. Dans une scénographie toute en tulles inspirée de l’artiste Robert Irwin, le spectacle joue sur l’opacité et la transparence, mais aussi le brouillage entre réalité et imagination, la mémoire et l’effacement. Envoûtant.

 Interview de Catherine Kollen, directrice artistique de l’Arcal

Créée en 1983, la compagnie nationale l’Arcal veut partager auprès du plus grand nombre sa passion du théâtre lyrique et en montrer toute l’actualité, y compris à ceux qui se pensent les plus éloignés de cet art. Sa directrice artistique, Catherine Kollen nous livre son approche de l’œuvre de Purcell.

Que vous inspire l’histoire de Didon et Énée ?

Catherine Kollen : C’est une épopée magnifique. Énée, apparaît une première fois brièvement dans l’Iliade d’Homère mais c’est Virgile qui plusieurs siècles plus tard à Rome, va créer le mythe, sans doute pour des raisons politiques. Les Romains cherchaient à s’inscrire dans une généalogie glorieuse qui les ferait descendre en droite ligne des dieux. Et Énée était le fils de Vénus. Virgile se met dans les pas d’Homère et suit Énée dans son périple après la destruction de Troie qui le mène à Carthage où il rencontre Didon. Les historiens pensent que cette dernière a réellement existé. Elle se serait immolée pour échapper aux avances d’un roi africain et ne pas être réduite en esclavage. Sa rencontre avec Énée, en revanche, est une invention de Virgile.

Purcell est-il fidèle à Virgile ?

C.K. : Il se réfère à la tradition de Virgile mais s’inspire de la signature littéraire de Shakespeare encore très vivace en Angleterre 70 ans après sa mort. C’est pourquoi dans l’opéra de Purcell, les déesses antiques anglaises sont remplacées par des sorcières.  L’affaire de Samlesbury (1612) est encore dans tous les esprits.

Vous avez opté pour une vision psychanalytique de l’œuvre…

C.K. : Nous avons souhaité nous réapproprier cet opéra avec un regard actuel. De quoi parle-t-il ? Des forces invisibles qui guident les comportements humains et qui peuvent faire basculer une histoire d’amour en véritable tragédie. Durant l’Antiquité ce sont les dieux qui sont à la manœuvre, à l’époque de Purcell ce sont la magie et les sorcières qui manipulent les cœurs. Depuis, la psychanalyse est passée par là et nous savons qu’il n’y a pas pire ennemi que nous-mêmes. Nous avons travaillé en ayant en tête cette citation de Gustave Jung : « Ce qui ne vient pas à la conscience revient sous forme de destin ». Nous nous sommes appuyés également sur cette phrase du livret qui dit : « Les grandes âmes conspirent contre elles-mêmes ».  C’est pourquoi dans notre version, Didon et la sorcière ne sont qu’un seul et même personnage.

Didon et Énée, c’est aussi l’éternel dilemme entre passion et devoir, la question du destin ?

C.K. : C’est, en effet, le drame de tous les héros tragiques. Quand Didon rencontre Énée, ce dernier lui déclare son amour et se dit prêt pour elle à « défier les dieux ». Même si elle fait semblant d’y croire, la reine sait que le destin est plus fort et que cette relation est d’emblée condamnée par la promesse que le héros a fait à son peuple.

Le chœur tient une place très importante…

C.K. : Nous lui avons donné une place centrale. Les choristes sont successivement les courtisans qui flattent la reine, les sorcières qui lancent des sorts, les marins qui accompagnent Énée dans son voyage. Sont-ils de vrais personnages ou une allégorie des sentiments de Didon ? Les spectateurs trancheront. Nous avons aussi travaillé sur la figure des chimères pour imaginer les costumes des choristes faits de poils et de plumes.

Vous avez rajouté un prologue à cette œuvre. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C.K. : La partition du XVIIe siècle avait un prologue dont on a retrouvé le livret mais pas la musique. Il s’agit d’une tragédie lyrique dans laquelle évolue Vénus, celle qui fait vaciller les hommes et les dieux, l’amour, le soleil et les planètes. Johannes Pramsohler en a imaginé la musique « à la manière de » mais également en reprenant des airs connus de Purcell comme « If love’s a sweet passion » dans The Fairy Queen.

Cette production est réalisée par l’Arcal, pouvez-vous nous en parler ?

C.K. : L’humanisme est au cœur du projet de l’Arcal, avec un thème philosophique et sociétal qui inspire les créations et actions artistiques de chaque saison. L’opéra aborde aussi bien des questions intimes que sociales ou sociétales. Il est pour nous source de questionnement sur soi-même et le monde… Nous travaillons dans de nombreuses directions : en produisant, des créations avec des compositeurs ou librettistes contemporains, en faisant découvrir ou redécouvrir des œuvres du XVIIe ou XVIIIe siècle, parfois de véritables pépites. Nous montons aussi des opéras connus en tentant d’y apporter une vision qui nous est propre, en faisant appel à tous les arts scéniques comme le théâtre, la vidéo, les marionnettes, en allant à la rencontre de nouveaux publics dans les territoires ruraux, les prisons, en milieu scolaire ou dans les conservatoires. Nous aimons créer des passerelles.

arcal-lyrique.fr

 

 

Interview de Johannes Pramsohler, directeur de l’Ensemble Diderot

Fondé en 2009 par le violoniste Johannes Pramsohler, l’Ensemble Diderot est régulièrement acclamé pour la virtuosité et la vivacité de ses interprétations. Il est actuellement l’une des formations de musique de chambre les plus brillantes et les plus originales d’Europe.

  

Pouvez-vous nous parler de l’ensemble Diderot que vous dirigez ?

Johannes Pramsohler : L’Ensemble Diderot se consacre à la musique de chambre. Avec deux violons, un clavecin et un violoncelle, nous faisons revivre sur instruments d’époque la tradition de la sonate en trio baroque des XVIIe et XVIIIe siècles. Pour Didon et Énée nous sommes treize musiciens dans la fosse, disposés en cercle dans une constellation intimiste, et douze chanteurs sur scène, embarqués par Benoit Bénichou dans des chorégraphies dynamiques.

Que représente « Didon et Énée » pour vous ?

J.P. : J’ai un rapport affectif à cette œuvre car c’est la première que j’ai jouée en tant que violoniste au Conservatoire de région où j’étudiais en Italie. Il s’agit d’un opéra très connu dans le monde entier. Aussi, j’ai voulu faire table rase de ce que j’avais entendu, ne pas tomber dans l’imitation. Avec l’ensemble, nous sommes partis de notre vision de « chambriste » pour renouer aux sources qui avaient présidé à cet opéra. Qui est Purcell ? Comment est née cette musique ? D’où vient-elle ? Comme la plupart des musiciens, Purcell avait dans sa jeunesse produit beaucoup de musique de chambre, de sonates. Et c’est en revenant à ces fondamentaux, à l’essence même de Purcell, que nous avons pu définir notre interprétation. Nous avons fait un travail très fin aussi avec les chanteurs en nous appuyant pour la diction sur un coach anglais.

Que diriez-vous de cette partition ?

J.P. : Le manuscrit original a malheureusement été perdu mais nous pouvons nous référer à une très bonne copie d’époque, à priori sans erreurs. Elle a été composée à une époque où l’Angleterre est très liée à la France. Le roi Charles II, cousin germain de Louis XIV, envie les grands spectacles montés par Lully. L’influence italienne commence aussi à se faire sentir. C’est une œuvre éclatante, précise, articulée, inspirée et si merveilleusement construite qu’elle demande une direction d’orchestre très légère. Chaque petit détail est à sa place.  Elle converge entièrement vers le dernier air, le sublime « When I am laid », celui de la mort de Didon, qui attire l’ensemble de l’opéra comme un aimant.

  

fr.ensemblediderot.com

 

DIDON & ÉNÉE
JEUDI 7 AVRIL À 20H
VENDREDI 8 AVRIL À 20H30

Chanté en anglais, surtitré en français

Votre réservation pour le spectacle Didon et Enée vous ouvre le droit à la rencontre avec Catherine Kollen, directrice artistique et dramaturge à l’Opéra de Reims. Date à venir. Inscription via votre espace personnel ou auprès de la billetterie.

 

 

Texte : Anne de la Giraudière

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